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La Révolution de 1956

Pour expliquer 1956, il faut bien sûr revenir quelques années en arrière. Certains datent le basculement de la Hongrie dans le monde communiste à 1947, quand débute la période dite de "la politique du Salami", d’autres parlent de 1948 avec la création du parti des travailleurs hongrois, enfin une date fait l’unanimité, c’est le 15 mai 1949, ou 96,27 % des électeurs hongrois voteront pour les candidats du front populaire, c’est à dire le parti communiste. La Hongrie devient une République Populaire tournée vers l’URSS, avec sa nouvelle constitution et à la tête du parti Mátyás Rákosi.

D’autres pays avant la Hongrie sont tombés dans l’orbite de Moscou, la Roumanie en décembre 1947, la République Tchécoslovaque le 30 mai 1948, seul Tito (ancienne Yougoslavie) résiste et instaure sa propre gouvernance après avoir été sorti avec fracas du Kominform par Staline.

La transformation de la société passe assez classiquement par des réformes agraires et industrielles à l’échelle du pays. Après une réforme agraire entamée en 1947 par Imre Nagy, alors ministre de l’agriculture, le nouvel état hongrois décide finalement la collectivisation des terres agricoles, la création de coopératives, d’étables collectives et de stations de machines et de tracteurs.

Au niveau industriel, les usines aussi sont nationalisées avec une attention particulière portée à l’industrie lourde et à des secteurs clefs comme les mines et la métallurgie. La population industrielle passe de 450 000 en 1945 à 1 060 000 en 1951 dont 93% de travailleurs dans la grande industrie. Cette augmentation provoque un très fort exode rural. Ce seront ces nouveaux ouvriers qui formeront les cortèges des manifestants puis des insurgés de 1956.

Les réformes touchent aussi le système étudiant, l’armée, les églises avec la nationalisation de leurs terres et des écoles confessionnelles. On établit un système de classes, avec les nouveaux "ennemis" tout désignés : anciens propriétaires terriens et immobiliers, les intellectuels, la paysannerie aisée, les anciens fonctionnaires.

Un fort contrôle de surveillance apparait avec la police politique l’AVH, créée à l’origine en 1948 pour poursuivre les criminels de guerre et qui à partir de 1949 fonctionne comme une police de surveillance, d’investigation et fournit aussi les commissaires politiques dans l’armée régulière.

La terreur politique commence le 18 juin 1949 quand le gouvernement communiste hongrois annonce par un bref communiqué l’arrestation de László Rajk, alors ministre des affaires étrangères. Chaque 23 octobre, les Hongrois descendent dans les rues pour une journée de commémoration. Les drapeaux découpés sortent sur les balcons, et chacun se rappelle avec émotion de ce jour unique où la révolte a grondé. Il a fait la guerre d’Espagne, c’est le pilier fondateur du parti communiste hongrois clandestin pendant la 2ème guerre mondiale. Après la guerre, il crée et dirige l’AVH.

On entre à cette époque dans une ambiance de schizophrénie politique, où un des plus anciens et fidèle compagnon du parti communiste hongrois est accusé d’impérialisme, de titisme et même d’affinités hortystes. C’est une période de grands procès, de glaciation politique et d’emprisonnement hâtif dans les camps. Une chape de plomb s’abat sur la République Populaire de Hongrie.

L’année 1953

La mort de Staline change la donne dans les pays satellites, les dirigeants communistes hongrois dont le chef du parti et chef du gouvernement incarné par un seul et même homme, Mátyás Rákosi, sont convoqués à Moscou.

L’heure du changement a sonné, Rákosi est obligé de démissionner de son poste et Imre Nagy est intronisé premier ministre. Il va lancer en cette période de dégel une série de mesures politiques et économiques autour de cinq axes.

Cette transition pour un homme qui reste bien sûr dans la ligne de l’esprit communiste est ressentie comme un vent de liberté auprès d’une population qui ne s’est pas remise des nationalisations forcées, de la censure de la presse, des camps d’internement.

Imre Nagy, issu du monde paysan veut permettre à la population de vivre mieux. Son programme est clair, il faut améliorer le niveau de vie de la population en freinant la surindustrialisation, transformer les mesures d’internement politique en mise en résidence surveillée, permettre aussi tout simplement de manger à sa faim. Plus tard, les manifestants du 23 octobre 1956 n’oublieront pas les réformes lancées à cette époque par Imre Nagy.

D’autant qu’en 1955, Imre Nagy est exclu du comité central, il perd son poste de premier ministre et c’est András Hegedűs, un fidèle de Rákosi qui reprend le poste de 1er ministre, au grand désarroi de la population.

Le grand tournant : l’année 1956

Cette année est chargée d’événements, Kroutchev dans un discours célèbre tenu pendant le XXème congrès du parti évoque les erreurs de Staline, ses lacunes idéologiques, sa responsabilité dans les purges. En Hongrie, les intellectuels et les étudiants créent le cercle Petőfi, qui devient un lieu de discussion et aussi de défouloir verbal. Le 28 juin, les ouvriers polonais de Poznán descendent dans la László Rajk pour László Rajk, c’est la réhabilitation de l’homme des purges et des faux procès, 100 000 personnes suivent le cortège à la tête duquel la veuve et le fils de László Rajk, accompagnés silencieusement d’un Imre Nagy qui n’a plus aucune fonction politique.

Le 23 octobre, des étudiants, professeurs et intellectuels décident d’organiser une manifestation de solidarité avec les Polonais, il n’y a en fait pas une mais deux manifestations, l’une organisée au pied de la statue de Petőfi côté Pest dirigée par le cercle Petőfi et une seconde au pied de la statue de Bem côté Buda organisée par les étudiants de l’université des Arts et Techniques où se déclament leurs "16 points de revendication".

A l’origine, les manifestations devaient être interdites, mais elles auront quand même lieu, la population se joint au cortège tout au cours de l’après-midi. Gerő, premier secrétaire du parti tente de calmer à la radio les manifestants, en leur demandant "s’ils souhaitent vraiment une démocratie bourgeoise ou une démocratie socialiste". Les revendications des manifestants sont, entre autres, une solidarité avec les ouvriers polonais, le retrait des troupes russes du territoire hongrois, une plus grande liberté de la presse, la tenue d’élection libre, le retour d’Imre Nagy au pouvoir et la reprise de ses réformes. On estime qu’à la fin de cette journée mémorable, la manifestation a réuni environ 300 000 personnes. Le gouvernement est totalement dépassé par ce très vaste mouvement populaire. Les manifestants s’emparent de la radio à 20h00, l’armée hongroise et les AVH interviennent, et c’est à cet endroit dans la Bródy Sándor utca, qu’ont lieu les premiers combats et que gisent les premiers corps des insurgés. A 21h30, l’immense statue de Staline est renversée, sa tête sera triomphalement tirée sur les pavés des rues du centre ville. Gerő tétanisé réunit le Politburo auquel il convie Imre Nagy qui n’est plus rien au sein du parti. Andropov l’ambassadeur de l’URSS à Budapest appelle Kroutchev qui autorise l’intervention des troupes russes stationnées en Hongrie (sur les 5 divisions soviétiques en Hongrie, cette nuit là, deux divisions seront appelées en renfort de l’armée hongroise).

Le 24 octobre officiellement Imre Nagy est déclaré premier ministre à la place d’Hegedüs, l’idée étant bien sûr de calmer les esprits et de faire cesser le mouvement de contestation le plus vite possible. Les Soviétiques envoient deux émissaires pour contrôler la situation et surtout faire des rapports heure par heure à Moscou, la radio officielle Kossuth ne cesse de diffuser des commentaires comme quoi le parti et l’armée maîtrisent ces "contrerévolutionnaires fascistes". Le 25 octobre, une nouvelle manifestation ouvertement "antiparti communiste" est organisée pour démentir sur la place publique les mensonges de la radio officielle, les manifestants veulent faire partir Gerő, le dernier représentant de l’ancien régime, obliger aussi Imre Nagy à choisir son camp.

Les révoltés ont cette fois-ci des drapeaux troués, ils sont armés de kalachnikovs, de revolvers, le tout cependant dans une ambiance de kermesse. Mais l’ordre est donné aux soldats soviétiques présents, à l’armée hongroise et à la police politique de tirer à 11h00 : bilan 100 morts et 300 blessés. Avec des conséquences immédiates : la haine redoublée pour les AVH, la chute de Gerő remplacé par János Kádár et l’intensification des combats à Budapest et en province. Les groupes armés de révolutionnaires vont se créer et s’organiser, dont certains sont restés célèbres comme le groupe de Corvin, celui de Széna tér ou de Tompa utca. Des officiers et des soldats de l’armée hongroise ont changé de camp, apportant leur expérience militaire aux insurgés, les premières unités de la garde nationale se créent ainsi que de nombreux conseils ouvriers et les comités révolutionnaires.

Les conseils ouvriers sont essentiels dans la révolution de 1956, grâce à leur organisation dynamique et impliquée, des armes sortent des usines et se répandent dans les villes, ils prennent aussi en main la gestion de leurs usines, ils constituent une milice, gardent les locaux industriels. On a tous à l’esprit ces images de presse extraordinaires de ces ouvriers d’une jeunesse extrême, l’arme à la main, le regard lumineux, prêts à se battre jusqu’au bout pour leur liberté.

Il faut mentionner également qu’au cours de ces journées révolutionnaires, pas un magasin ne sera pillé ou dévasté. Ces journées entre le 25 et le 30 octobre sont des jours de combats de la police AVH, l’armée hongroise, les unités russes contre les comités révolutionnaires, les groupes armés qui se sont formés dans des quartiers, autour des usines.

Pendant ce temps, Imre Nagy tergiverse, probablement lui aussi inquiet des conséquences de toute décision politique. Sa position est enfin prise le 28 octobre, il sera du côté des révolutionnaires. Et les jours suivants ses décisions politiques se succèdent : le gouvernement est remanié, le programme de réformes relancé, Pál Maléter colonel de l’armée hongroise qui a rejoint les insurgés, est nommé général et ministre de la défense et prend part aux discussions liées au départ des troupes russes, l’AVH tant haïe, est supprimée.

Le 30 octobre, le multipartisme est annoncé. Cependant les combats ne cessent pas totalement dont le tristement célèbre affrontement du 30 octobre place Köztársaság où le photographe de presse Jean-Pierre Pedrazzini recevra une blessure mortelle et où des AVH seront pendus et lynchés par la foule. Bilan de cette journée, une trentaine de morts.

Le 1er novembre, Imre Nagy annonce le retrait de la Hongrie du pacte de Varsovie, il proclame la neutralité du pays et demande l’aide des Nations Unies. Un cessez-le-feu prend date accompagné d’un sentiment d’immense liberté pour la population insurgée. Les conseils nationaux, révolutionnaires et ouvriers assurent les tâches administratives, la direction des entreprises, des usines.

ET l’URSS ?

Bien sûr, l’URSS réagit. D’abord Andropov ne cesse de mentir à Imre Nagy qui s’étonne des forts mouvements de troupes de soldats soviétiques aux frontières hongroises. János Kádár (qui a remplacé Gerő comme premier secrétaire du Parti) s’est envolé pour le Kremlin dans le plus grand secret le 1er novembre et Kroutchev fait la tournée des pays satellites et rencontre Tito.

Le sort de la révolution hongroise est bientôt scellé.

Le 3 novembre, le cardinal Mindszenty sorti de sa résidence surveillée fait un discours à la radio, la journée paraît étonnement calme, les révolutionnaires ont baissé les armes, et l’on parle des négociations du retrait des troupes russes. Pál Maléter est invité à participer aux négociations au commandement militaire soviétique à Tököl près de Budapest dans la soirée. Mais à minuit, coup de théâtre, la délégation hongroise est arrêtée et dans la nuit commence le grand mouvement des troupes soviétiques postées aux frontières de la Hongrie pour mettre fin aux velléités révolutionnaires. Le piège s’est refermé sur la Hongrie, Kádár appelle officiellement l’intervention soviétique, Imre Nagy lance un dernier appel à la radio à 5h15 du matin. Une heure plus tard, il trouve refuge avec son nouveau gouvernement à l’ambassade de Yougoslavie.

Le 4 novembre à 4h00 du matin, une immense armée de soldats soviétiques venus de Roumanie, de Tchécoslovaquie et de Pologne déferle sur Budapest et la Hongrie. Ce seront des combats meurtriers. Rien n’est plus émouvant que de se promener dans les cimetières hongrois autour des parcelles de ceux de 56 pour constater qu’entre le 4 et le 10 novembre, les noms des morts jeunes et moins jeunes, ouvriers, employés, artisans s’égrènent en une liste interminable. Les ouvriers de Csepel résistent longuement, les insurgés avec la force du désespoir obligent les troupes soviétiques à des bombardements impitoyables, les batteries tirent du mont Gellért, les bombardiers passent et repassent.

Fin novembre, les armées soviétiques tiennent tout le pays, c’est la fin de la révolution de 1956.

QUELLES CONCLUSION PEUT-ON TIRER DE CETTE RÉVOLUTION ?

Le bilan humain est terrible : 2 000 morts du côté des insurgés, 700 du côté des soldats soviétiques, 13 000 blessés et environ 200 000 réfugiés qui réussiront à fuir le pays. Ils resteront souvent une à deux années, dans des conditions de vie précaires dans des centres d’hébergement et de transit en Autriche, avant d’être accueillis en Suisse, France, Canada et Australie... Pour ceux restés en Hongrie, viendra le temps des arrestations, des procès avec 300 exécutions et 16 000 condamnations.

Imre Nagy quitte le 22 novembre l’ambassade de Yougoslavie avec un saufconduit. Il est cueilli à sa sortie, mis au secret pendant deux ans en Transylvanie puis finalement exécuté à Budapest par pendaison le 16 juin 1958 avec quatre autres membres de son gouvernement. Leurs corps seront jetés dans une fosse commune de la parcelle 301 du Nouveau Cimetière de Budapest.

János Kádár, premier secrétaire du Parti et président du conseil, est l’homme de la reprise en main du pays par l’URSS. Pendant une dizaine de jours, certains de ses discours font croire à une indulgence vis à vis des insurgés désignés désormais comme contre-révolutionnaires et fascistes. Il n’en est rien, son attitude se durcit rapidement et il exécutera les ordres d’une reprise en main ferme et répressive jusqu’à la fin des années 1960 où commencera sa libéralisation en douceur du pays.

Pendant les jours de la révolution, les insurgés n’ont cessé de lancer des appels à l’étranger. Imre Nagy demande l’aide des Nations-Unies. Le 4 novembre, l’union des écrivains lance un appel déchirant à la communauté internationale, mais même si la Hongrie est à l’ordre du jour, c’est "la crise de Suez" et elle fera passer la révolution hongroise au second plan.

La révolution hongroise n’est pas la première de ce genre dans l’orbite du monde communiste, il y a eu la révolte de 1953 en RDA, puis celle en Pologne en juin 56 mais c’est une de celles qui marquera le plus les esprits par son ampleur, le consensus populaire (toutes les couches de la société hongroise y ont participé), la rage de réussir et l’impression donnée d’avoir fait vaciller le bloc communiste.

À la suite de cette révolution, certains intellectuels occidentaux prendront d’ailleurs leurs distances avec l’URSS. Il y aura donc un avant et un après "révolution de 1956", date charnière et clef dans les esprits du monde occidental mais au prix de terribles souffrances humaines.

QUELQUES PISTES DE LECTURES

La tragédie hongroise. 1956. Francois Fejtő. Editions Horay.

Les Héros de Budapest. Eszter Balazs, Phil Casoar. Editions Les Arènes


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